Les Jaïns et l’eau.
Visible à 50 km à la ronde, une gigantesque statue de pierre domine la campagne du Karnataka au sud de l’Inde. Erigée, il y a plus d’un millénaire, elle représente le prophète Bahubali dans toute sa nudité qui incarne dans la pierre l’idéal de pureté du jaïnisme, une religion contemporaine du bouddhisme qui prône la non-violence et le renoncement.
Au cours de l’Histoire, les disciples de 24 prophètes appelés « passeurs de gué » se sont divisés sur la voie à suivre pour parvenir à cette libération. Au 1er siècle de notre ère, un schisme divise les orthodoxes et libéraux les « vêtus d’espace » c'est-à-dire totalement dénudés !
Une fois tous les 12 ans, lorsque les astres sont favorables, la communauté jaïn se rassemble autour de la statue de Bahubali, l’un des prophètes. C’est le jour de la Grande Onction, véritable déluge d’eau, de lait ou de safran que tout Jaïn se doit de déverser sur l’effigie colossale. La première eut lieu en l’an 981 de notre ère. L’esplanade du petit temple accueille 300 000 croyants serrés les l’uns contre les autres afin de recevoir leur part de pluie sacrée. Aux pieds de la statue, 1008 vases de cuivre en forme de théière sont disposés selon un ordre parfaitement précis. Elles contiennent de l’eau bénite provenant de tous les fleuves et rivières sacrées de l’Inde. Les riches familles jaïnes se disputent l’honneur d’être parmi les premières à verser cette eau sur le prophète. Un exceptionnel privilège chèrement acquis ! Tous les yeux braqués sur Bahubali, les fidèles vibrent d’une immense clameur lorsque que les premiers litres d’eau inondent le colosse. Sa sérénité tranche avec la fièvre des porteurs d’eau, déployés en une file ininterrompue. Un véritable déluge d’eau se déverse la statue. La cérémonie prend toute sa dimension en début d’après-midi avec sa première des grandes onctions rituelles : 500 litres de jus de canne à sucre sont déversés sur le crane et les épaules de l’idole, transformant la pierre en un bronze aux reflets verts, cette pluie sucrée est suivie d’une gigantesque douche de lait. La statue blanchit d’un seul coup ! Elle se drape maintenant d’un jaune éclatant sous un déluge de safran. Suivent les onctions de pourpre et de vermillon saluées par de frénétiques applaudissements. La statue semble prendre vie. Un torrent de santal complété par les doux effluves du lait et du jus de canne remplissent l’air d’une fragrance merveilleuse. Tous les sens sont conviés à la fête, la ferveur populaire atteint son paroxysme difficilement contenue par le service d’ordre ! L’Onction se termine par une pluie colorée de pétales de fleurs. La foule est alors autorisée à se recueillir sous la statue pour un dernier hommage. Les fidèles se précipitent aux pieds de la statue pour recevoir leur part de cette pluie sacrée. Munis de bouteilles, ils recueillent goutte à goutte le précieux liquide.
La statue est sanctifiée par la Grande Onction. Bahubali n’est plus une idole de granit. La Grande Onction l’a consacré pour faire de lui l’égal de la divinité : la pierre et l’eau s’est faite dieu par la foi des Hommes !